Vous voulez pas lui lâcher un peu la bride ?

Apprendre à son enfant à voler de ses propres ailes, c’est aussi le rôle du parent. Une question que se pose n’importe quel parent mais ceux qui vivent cette parentalité différente via l’adoption ont peut-être plus de difficultés à y répondre à force d’injonctions contradictoires. Pour y réfléchir, voici trois petites histoires d’autonomie. Cet article a déjà été publié dans le numéro 201 de la revue Accueil.

Pourquoi dormir ?

C’est l’histoire d’une maman qui arrive tous les matins avec de grosses cernes au bureau. Elle est épuisée et atone, incapable de participer aux conversations sur la dernière série à succès passée la veille à la télé, de conseiller un bon bouquin puisqu’elle n’en a pas ouvert un depuis des lustres ou même de savoir à quoi ressemblent les pensées de sa moitié parce qu’elle n’a même plus le temps de parler d’autre chose que de l’organisation quotidienne.

Le problème, c’est que son petit gars n’arrive pas à s’endormir. Elle doit rester des heures dans la chambre pour qu’il lâche prise. Elle doit revenir plusieurs fois parce qu’il se réveille en sursaut et qu’il faut recommencer le même processus. La « même comédie » lui a dit le psy. « Mais madame, vous croyez que vous rassurez qui en restant dans la chambre ? Lui ou vous ? »

Le psy lui a dit qu’elle favoriserait cette crainte en la validant par ces retours incessants dans la chambre. La nuit est sûrement bien dangereuse si maman sent le besoin d’être aussi présente que quand j’étais petit. « Vous empêchez votre enfant de dormir, Madame. Vous l’empêchez de grandir », lui a dit le psy.

Depuis quelque temps, cette maman est moins fatiguée et elle a ses soirées. Le petit enfant s’endort plus vite. Enfin, elle pense parce qu’elle n’est plus dans la chambre quand enfin ça arrive.

Tomates du jardin

C’est l’histoire d’une famille qui se lamente de ne pas voir ses tomates pousser dans son jardin. Pourtant, le potager du voisin est luxuriant. Des tomates grosses comme des pomelos et d’un rouge bien vif. Au contraire, les leurs sont toutes rabougries, un peu verdâtres et sûrement pas transformables en délicieux coulis.

Cette famille décide donc de faire venir un expert pour les aider. Il examine la terre, la qualité de l’eau, l’environnement… non, décidément, rien n’explique ces toutes petites tomates. Alors il leur demande comment ils s’y prennent au quotidien.

Le couple raconte qu’à l’heure du déjeuner, à la place du repas, ils viennent au jardin, ajoutent de l’engrais, restent là à guetter le moindre signe de croissance. Et pendant ce temps, les voisins, eux ne mettent pas les pieds dans le potager. Quelle injustice ! « Messieurs, dames, en étant si inquiets que vos tomates ne poussent pas, vous leur donnez trop de soins. Trop d’engrais, trop d’eau et pas assez de soleil. Votre ombre à midi les empêche de grandir », leur a dit l’expert.

Depuis quelque temps, cette famille mange de délicieuses pâtes bolognaises sauce « tomates du jardin ».

Coquillettes au beurre et baby-sitter

C’est l’histoire d’une mère divorcée inquiète de ne plus passer qu’une semaine sur deux avec son enfant. Les semaines où elle est avec sa petite, elle veut que tout soit réussi et qu’elles passent le plus de temps ensemble. Elle ne la laisse pas à la garderie après l’école, lui prépare des repas bio, lui propose mille activités.

Elle ressort de ces semaines rincée, triste et confuse, avec l’impression de ne pas avoir bien répondu aux besoins de son enfant puisqu’elle a beaucoup refusé et été très difficile.

Et puis il y a eu cette semaine où elle a été malade. Impossible de proposer autant de jeux, elle avait même du mal à sortir de son lit. La petite a joué seule dans sa chambre, on a mangé des coquillettes au beurre et elle a même fait la surprise de se laver toute seule (et la salle de bain en même temps !). « C’était la meilleure semaine qu’on ait passé ensemble » a dit la petite en retournant chez son papa. La maman elle s’est dit que sans culpabilité, elle allait alléger sa pression, sur elle et sur sa fille.

Depuis quelque temps, elle s’autorise même à prendre une baby-sitter.

Et nous ?

Qui sait si ces trois petites histoires concernent des enfants adoptés ou pas ? Il me semble que tous les parents sont confrontés à ces dilemmes : lâcher la bride ou tenir la main ? Nos entourages nous racontent souvent ces petites histoires pour nous encourager à laisser plus d’autonomie à nos enfants, des conseils qui peuvent se révéler assez culpabilisants d’ailleurs.

D’autant que nos enfants ne sont pas comme n’importe quel autre enfant. Ils se coltinent des bagages remplis d’un passé rarement limpide. Sans compter leurs spécificités de santé qui reflètent la réalité de l’adoption aujourd’hui. Nous sommes aussi « mis en condition » par les professionnels qui nous accompagnent sur le chemin vers nos enfants, prévenus qu’ils auront sans doute besoin de beaucoup plus d’attention que n’importe qui d’autre.

Mais à quel moment ne leur rend-t-on plus service ? A quel moment, dans notre souci de bien faire, les empêchons nous de grandir ? Pour savoir faire du vélo, il faut bien un jour enlever les petites roues. Mais quand ? Depuis quelque temps, je me pose la question. Et je n’ai toujours pas la réponse !

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