J’ai tellement d’amour à donner !

Il est ici question d’attachement, une notion décisive dans l’adoption. Cet article a été écrit grâce à un entretien avec Johanne Lemieux. Travailleuse sociale, psychothérapeute, conférencière, elle a notamment écrit « La normalité adoptive » où elle développe cette notion. Un autre article complète celui-ci sous forme d’interview avec elle.

Aïe aïe aïe, elle est tellement typique cette phrase. Tellement répétée par moi la première lors des entretiens d’agrément. Mais ma bonne dame, si seulement ça suffisait pour accueillir un enfant, pour réussir une adoption, pour créer une famille. C’est évidemment bien plus compliqué et c’est là qu’intervient la notion d’attachement.

Parce qu’en fait, nous sommes des animaux. Nous nous attachons en remplissant d’abord les besoins vitaux. Comme le loup, l’ours ou la marmotte, l’être humain fait normalement tout ce qui est en son pouvoir pour que les bébés survivent et grandissent bien. Il va les protéger des agressions extérieures (les chasseurs, les prédateurs, la peur du noir), les nourrir (en viande, miel, lait ou câlins), les soigner, les changer, les rassurer, les bercer, leur parler (ou grogner, beugler, hululer, feuler et encore je ne connais pas le nom du cri de la marmotte) et accourir dès qu’ils appellent pour répondre à leurs besoins.

Certains sont payés pour le faire, des infirmiers, puéricultrices, nounous d’orphelinat. D’autre le font gratuitement et appelle même ça l’amour. Pour le petit d’homme, cela ne changera pas grand-chose. L’important est que quelqu’un réponde à ses besoins immédiats et vitaux. Grâce à cela, son cerveau va pouvoir se développer, se construire, apprendre et donc grandir.

Si au contraire, le petit d’homme hurle pour manger et que le biberon n’arrive jamais, qu’il entend des bruits effrayants mais que personne ne lui explique que c’est juste la machine à laver qui a été mise en route, ou que personne ne le prend jamais dans les bras en le regardant dans les yeux pour lui faire comprendre qu’il est une personne à part entière, et une personne importante, il va secréter une hormone de stress, le cortisol, qui va bloquer son développement. Le développement du cerveau de l’enfant se joue dans les premières années de sa vie, 80% entre le dernier trimestre de la grossesse et ses quatre premières années. Autant dire que si tout est bloqué par le cortisol, ce bébé risque de ne pas aller loin.

Le cortisol : voilà l’ennemi

Prenons nos enfants qui pour certains vivent longtemps dans des orphelinats avant de rejoindre notre foyer. Certains souffrent de difficultés d’attachement tout simplement parce que le cortisol a bloqué trop de connexions. Le bébé va développer en premier les émotions qui le protègent : la colère, la tristesse, la peur, le dégout, la culpabilité, la honte. Pas que des choses très réjouissantes…

Pour d’autres enfants, les nounous et autres adultes de la structure ont répondu, tant bien que mal, aux appels, aux demandes. Le bébé d’homme a été nourri ainsi que son cerveau. Peut-être pas assez, peut-être pas très bien, mais il a des bases et rien n’est jamais perdu. Sauf que ce n’est jamais le même adulte qui est là quand il appelle, certains reviennent mais souvent, c’est une tête différente. Comment voulez-vous attacher dans ces cas-là ? Là, le bébé décode qu’il va devoir se débrouiller tout seul. Que les adultes qui l’entourent ne sont pas stables et agissent sans doute d’abord par intérêt.

Johanne Lemieux utilise cette métaphore que je trouve parfaite : vous embarquez pour une croisière. Mais tous les bateaux que vous avez empruntés jusqu’à présent ont, soit coulé, soit navigué au petit bonheur la chance, soit se sont retrouvés tout à coup sans équipage. Il y a déjà peu de risques que vous embarquiez avec entrain. Et une fois à bord du bateau, vous allez sans doute passer pas mal de temps dans la cabine de commandement pour vérifier que tout le monde est bien à son poste. Voire faire passer quelques tests, style alarme incendie, pour être sûr que le nouveau commandant de bord est fiable. A moins que vous ne vous cachiez dans un recoin en vous faisant oublier pour être sûr de ne pas être comme dans la chanson, le mousse tiré à la courte paille pour être mangé.

Sauf que pendant que vous êtes dans la cabine de pilotage, vous ne profitez pas de la croisière.

Les alarmes incendie, ce sont les cris, les colères, les refus de dormir, de manger : des tests souvent de la solidité du bateau et des parents qui le pilotent. Dans un style différent, le bébé qui se cache, qui se fait tout petit, c’est qu’il a intégré que s’il dérange, il court un danger.

A la recherche de la méthode Assimil version famille

Face à ces réactions que nous ne connaissons pas avec nos nièces ou neveux élevés sans stress et en conformité avec leurs besoins, nous, nouveaux parents, nous sommes souvent démunis voire paumés. Comme dans un pays étranger où nous ne comprenons pas la langue : que veulent dire ces cris au milieu de la nuit ? Que signifie ce réveil agité ? Quel sens pour ces balancements et ce refus d’être pris dans les bras ?

Je peux vous assurer que même avec une bonne grosse dose d’amour à donner, vous allez souvent avoir envie de tout laisser tomber. Vous dire que vous avez fait la plus belle erreur de votre vie. Que vous n’y arriverez jamais. C’est faux ! C’est le manque de sommeil qui vous fait penser cela. Et aussi parce que vous êtes encore bercé des mythes de l’amour qui guérit tout.

Alors d’abord, l’adoption ne guérit rien. Elle arrête les blessures. Mais on a affaire souvent à des grands brûlés, à des êtres à manipuler avec infiniment de précautions. Ce qui ne veut pas dire qu’on va tout leur passer, en faire des enfants rois. Non, cela veut simplement dire qu’au départ, à l’arrivée de l’enfant, on n’est pas des parents, on est infirmier, nutritionniste, éducateur spécialisé, garde malade, garde chiourme… L’enfant n’a aucune raison de nous faire plus confiance qu’à ces autres adultes qui sont passés dans sa vie. C’est même très sain qu’il ne le fasse pas.

Il faut donc se préparer à cela, se donner du temps, être en bonne condition physique, morale et mentale pour affronter la tempête que notre bateau de croisière va traverser.

Mais la bonne nouvelle, c’est que l’attachement se crée dans la crise, dans les moments de détresse. Regardez-vous : qui sont vos meilleurs amis ? Ceux qui sont là quand vous êtes au plus mal, la colocataire qui a passé ses nuits à sécher vos larmes après une rupture, l’ami qui vous a apporté de la soupe quand vous avez été opéré d’une maladie un peu trop honteuse pour en parler à la concierge, le couple qui est revenu avec une bouteille de champagne pour fêter l’apparentement alors que vous les aviez envoyés promener à l’annonce de leur 3ème enfant. Tous ceux qui sont capables de voir au-delà de votre peine, de votre colère, de votre malaise. Ceux qui restent avec vous malgré tout.

Un peu comme des parents.

9 commentaires sur “J’ai tellement d’amour à donner !

  1. Merci pour cet article très juste, l’adoption c’est tune bataille de tous les jours et parfois on croit l’avoir perdu mais ce n’est qu’une bataille…J’aime à reprendre ce titre de Balavoine  » Mon fils ma bataille » !

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  2. c’est tellement vrai ! chaque jour apporte son lot de joies autant que de difficultés, avec nos enfants, et même encore après 3 et 7 ans … même s’il n’est pas toujours facile de rester zen et calme face à des réactions que nous jugeons disproportionnées, il faut garder le cap, respirer fort et essayer de trouver des solutions..

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